interVIEW DE LUC GABRIEL, FONDATEUR


Comment avez-vous entendu parler de CHERIGAN?

Luc Gabriel: J’ai découvert CHERIGAN en parcourant les histoires et les archives de la parfumerie moderne, notamment celles des années 1930. Je suis passionné par cette période charnière, parenthèse entre la fin d’un monde enchanté enterré avec la première guerre mondiale, le monde de l’industrialisation, de l’Art nouveau, des avancées techniques, des expositions universelles, de l’avion et de l’automobile. À ce moment-là, on imaginait un avenir radieux pour l’humanité et non le début des heures sombres du fascisme et de la Seconde Guerre mondiale. Les années 1920 et 1930 concentrent une vague de libération et de créativité, avec Paris en épicentre mondial, comme on a peu connu dans l’histoire de l’art, des sciences et des lettres.
C’est d’autant plus vrai pour les parfums qui connaissent leur âge d’or après les avancées de la parfumerie moderne du début du siècle. Nouveaux composants chimiques (muscs synthétiques, vanilline, aldéhydes, etc.), nouvelles matières premières issues de méthodes d’extraction récentes et de nouvelles régions du monde, terrains vierges pour lancer de nouvelles compositions olfactives (création du Chypre en 1917), libération de la femme et des mœurs, le parfum des années Art Déco a suivi ce mouvement qui a porté toute une génération avide de vie, de sens et de liberté. C’est en scrutant cette période que j’ai trouvé CHERIGAN, telle une pépite dans les décombres des marques disparues.

A-t-il été facile de retrouver les flacons et les jus de l’époque ?

L.G. : Cela a été une recherche passionnante. J’ai longuement discuté avec des collectionneurs, des blogueurs, des parfumeurs, des spécialistes du parfum, fouillé dans les foires et les ventes aux enchères. Nous avons ainsi pu retrouver beaucoup de flacons différents en provenance de France, des États-Unis et même d’Australie. CHERIGAN a créé des parfums qui sont autant de repères tels que Fleurs de Tabac, Chance, Parisienne, Bleu Impérial, … Au total, on recense une quinzaine de parfums. Dès l’origine, un lien étroit a été établi avec Cuba, celui des années de folies nocturnes, de casinos enfumés où résonnent des big bands à travers la nuit, pendant que la jeunesse dorée des États-Unis continue de miser sur les tapis verts de la chance.

Relancer CHERIGAN, plus de 90 ans après sa naissance, un pari risqué ?

L.G. : Lorsque j’ai repris la marque en 2016, les Années Folles et l’Art Déco n’étaient pas du tout à la mode, ni dans le monde du parfum, ni dans le monde tout court, en dehors des passionnés du mobilier et de l’architecture de l’époque. Il a fallu cinq ans pour travailler les jus, choisir les flacons et le packaging, avant de finalement lancer la marque. Un projet un peu fou, aujourd’hui totalement en phase avec les envies des afficionados de parfums qui cherchent des maisons authentiques, des histoires vraies, des parfums élégants dans des écrins luxueux, une démarche éco-responsable et un prix juste. CHERIGAN est conçue comme un pont entre la modernité des années 1920 et 2020. Bien que pionnière sur de nombreux sujets, CHERIGAN s’est effacée au fil des ans. Il ne restait que des flacons, des fonds de parfums, des publicités de l’époque. Mais des créations olfactives magiques, une grande liberté dans le design et la définition des produits, un sens aigüe de la couleur du temps, de ce qui définit une génération.

Il a fallu retravailler les formules en partant des analyses chimiques modernes (spectrométrie de masse, chromatographie en phase gazeuse), en sentant les échantillons de parfum de l’époque mais aussi en tenant compte de la disparition de certaines matières premières, des contraintes réglementaires modernes pour s’approcher au plus près de la vérité de ces jus vintage. Un travail de traduction était nécessaire pour faire redécouvrir ces joyaux et nous transporter dans la modernité des année 1920 et 1930. CHERIGAN est une marque plaisir, luxe, raffinée, élégante et impertinente. Il fallait travailler les parfums pour que ces valeurs soient présentes olfactivement mais également qu’on ressente l’ambiance de l’époque, puissante, survoltée, passionnée.

C’est une des raisons pour lesquelles les fragrances sont uniquement en concentration Extrait avec une grande puissance intrinsèque, tout en conservant une finesse d’écriture qui permette de retrouver ce lien entre la modernité des années 1930 et notre modernité. Des parfums vintages mais pas vieillots, puissants mais pas étouffants, osés mais pas conceptuels, composés de 90 % à 99 % d’ingrédients naturels selon les fragrances. Un travail d’équilibriste qui a demandé des mois de mise au point avec les parfumeurs.